Écrire à Prague et se faire apostropher par un Pragois imaginaire
Ai-je l’air d’une touriste ? Quels sont les attributs nécessaires pour définir le touriste ? Un appareil photo, un plan et un guide, un visage venu d’ailleurs ? Sembler perdu dans les couloirs du métro ou dans le dédale des tramways ? Assurément il est aisé de se défaire de tous ces indices trop visibles. Alors je marche d’un pas vif, le regard assuré. J’ai mémorisé tram, rues, monuments. Je me rends de l’un à l’autre tranquillement et je ne suis plus une touriste.
Trop facile me dit l’œil extérieur. Tu crois que moi je visite les monuments tous les matins au réveil ? Tu crois que moi je passe un temps infini à choisir tel ou tel restaurant parce qu’il sera typique de la cuisine de Prague, et tu crois qu’elle existe la cuisine de Prague? Du cochon, du poulet, des légumes et des pommes de terre, comme chez toi, un café pour finir et une bière pour faire passer tout ça, ah oui chez toi tu bois plutôt du vin.
Tu marches d’un pas vif, mais je te dépasse quand même car moi je suis attendu au travail, au marché, ou chez des amis, je n’ai pas le temps et toi tu as le temps, même quand je te suis je vois à ton dos que tu n’es pas pressée. D’accord tu peux être pressée, tu m’as dit que tu avais des horaires car tu participes à un atelier d’écriture, donc tu dois être à l’heure le matin. Tu as donc eu l’outrecuidance de venir chez moi pour travailler, et tu vas me visiter quand ? Car quand même je vaux le détour.
Ils me font bien un peu peur tous ces vrais touristes qui se déversent sur mon Pont Charles tous les matins, ils ont des références, au moins celles du guide culturel qu’ils ont en mains. Kafka, le Golem, le Château, Yan Palach, martyr du communisme, et tant d’autres vestiges de mon passé plus ou moins glorieux. Tellement passé, que toi touriste, tu vas en oublier que j’ai un présent, petit présent de petit pays, au milieu d’un petit continent. D’accord là j’exagère un peu tu vas le voir mon présent, car rassuré tu pourras manger du pain et des viennoiseries françaises, changer tes Euros dans une banque allemande, faire quelques courses dans un supermarché anglais et te soulager dans les célèbres sanisettes françaises.
Allez petit touriste, va en paix parmi mes ruelles, poste moi sur Facebook, car dans le fond sans toi je ne serais rien d’autre qu’une ville de province, qu’habitants des grandes métropoles du monde considéreraient avec la bienveillance teintée de commisération que l’on réserve aux anciennes gloires.
Ps : s’il te plait quand tu rentreras chez toi évite de parler de moi en disant : authentique, somptueuse, vraie, admirable bien rénovée… la liste n’est pas exhaustive, car je ne suis ni plus ou moins tout cela que tout ce que tu as déjà visité. Si tu ne trouves pas d’autres mots alors tais toi et garde moi au chaud au fond de tes entrailles